“L'informatique n'est pas réservée aux hommes: les femmes peuvent y trouver énormément de choix de carrière”

07 décembre 2022

En Europe, la proportion moyenne de femmes spécialisées en informatique atteint à peine 17,9%, selon les chiffres d’Eurostat. En Belgique, le tableau est encore plus sombre: seuls 17,2% des professionnels de l’IT sont des femmes. Quatre spécialistes belges des technologies de l’information détaillent ce que leur entreprise a mis en place pour inverser la tendance et de quelle façon le secteur en général pourrait attirer davantage de femmes.

Pourquoi le secteur informatique reste-t-il principalement un univers masculin, et comment le vivez-vous?

Stefanie De Smet (Senior Manager et responsable de la division Managed Services de delaware): “Je pense que cela est principalement dû à une perception erronée. Il n’y a pas que des programmeurs ou des personnes ayant une spécialisation technique qui travaillent dans notre secteur: nous avons un large éventail de fonctions. Selon ses intérêts et ses talents, on peut travailler dans l’analyse, la gestion de projet, la recherche, le traitement des données, les solutions cloud, le conseil et bien plus encore."

Andy Stynen (CEO d’Ausy BeLux et Chief Digital Officer d’Ausy Group): “Dans les fonctions hautement techniques telles que le développement et l’architecture informatiques, les hommes sont effectivement bien plus nombreux que les femmes. Dans les rôles dits de communication – qui assurent le lien entre les entreprises et l’informatique: pensez aux analystes, aux gestionnaires de processus d’entreprises et aux chefs de projet –, les femmes sont bien plus nombreuses que par le passé. Dans les services de soutien comme le recrutement en informatique et les ressources humaines, la proportion de femmes atteint 70% dans notre entreprise. Les femmes ont tendance à être douées en communication.” 

Les femmes ne doivent pas nécessairement devenir médecins ou infirmières pour pouvoir aider les autres: elles peuvent aussi le faire grâce à la technologie
Julie Scherpenseel, Chief Strategy Officer de ML6

Julie Scherpenseel (Chief Strategy Officer de ML6): “Aux débuts de l’informatique, certains stéréotypes sont apparus, qui sont encore véhiculés aujourd’hui. Ils sont pourtant complètement dépassés. Notre secteur n’est pas dominé par des nerds masculins qui s’enferment dans leur garage ou leur sous-sol pour jouer à des jeux vidéo. Bien que ce cliché sans fondement soit en train de changer, il faudra un certain temps avant de voir les effets de cette évolution sur le marché du travail.” 


Qu’est-ce qui pourrait être amélioré dans l’enseignement? En Flandre, le STEM-Monitor a calculé que 42% des entrants étaient des femmes en 2021, en légère augmentation par rapport à 2020. Mais cela ne se traduit pas encore par une augmentation du nombre de femmes dans les formations ou les carrières en informatique.

Tony Janssens (Strategic Recruitment Manager chez Egov Select): “La manière dont l’informatique est enseignée dans les écoles secondaires pourrait être bien meilleure et plus étendue. Souvent, les cours s’en tiennent à l’apprentissage d’un traitement de texte, d’un tableur électronique et d’un programme de messagerie… Il ne s’agit pas vraiment d’informatique mais de connaissances de base et d’éducation sociale! Rien n’est dit sur ce qu’est réellement l’informatique. Ainsi l’enseignement secondaire contribue-t-il à créer une fausse perception de la technologie. Or, la perception est fréquemment confondue avec la réalité. Une tendance dangereuse, car elle est source de préjugés et d’idées fausses.” 


Stefanie De Smet: Ma fille suit un cours de STEM. Elles sont trois filles pour trente- sept garçons en classe : c’est la preuve qu’il y a encore du chemin à parcourir! Un bon début serait de faire comprendre aux élèves et à leurs parents ce qu’implique un tel cours, et les emplois qu’il permet d’exercer par la suite. L’informatique et la technologie sont omniprésentes dans notre vie quotidienne; les élèves devraient en être davantage conscients.”


Andy Stynen: “L’informatique reste très abstraite pour de nombreux jeunes. Les entreprises, les pouvoirs publics et l’enseignement pourraient œuvrer ensemble à la rendre plus concrète. Mes collaborateurs et moi, nous nous rendons dans des écoles plusieurs fois par an afin de changer la donne, de faire prendre conscience aux jeunes de tout ce que la technologie rend possible. Le simple fait de leur dire que l’informatique entre en jeu dès lors qu’ils utilisent la télécommande du téléviseur ou leur smartphone éveille leur intérêt pour la technologie.’“

Nous devons donner aux femmes actives dans le secteur IT nettement plus d’occasions de monter sur scène et d’inspirer les autres
Andy Stynen, CEO d'Ausy BeLux et Chief Digital Officer d'Ausy Group

Stefanie De Smet: delaware accueille chaque année un certain nombre d’étudiants à l’occasion de la journée Youca. Il s’agit d’une journée d’action au cours de laquelle ils peuvent choisir de passer une journée à travailler dans notre entreprise. Nous constatons que les jeunes en retirent de l’inspiration. Et l’argent qu’ils gagnent est reversé à des œuvres caritatives.”


Julie Scherpenseel: “Les femmes privilégient les emplois ayant un impact social. Elles orientent donc leur choix de formation en fonction de cet objectif. Mais on accorde trop peu d’attention à l’immense impact social que le secteur technologique exerce sur le monde d’aujourd’hui et de demain. L’innovation est le moteur du progrès social. Les femmes ne doivent pas nécessairement devenir médecins ou infirmières pour aider les autres: elles peuvent aussi le faire grâce à la technologie. Il faudrait davantage insister sur ce point.”


Existe-t-il trop peu de modèles féminins? Des femmes spécialistes de l’IT, qui inspirent d’autres femmes à suivre leurs traces?

Andy Stynen: “Il y a suffisamment de modèles féminins dans notre secteur, me semble-t-il, mais ils ne s’exposent pas assez ou n’ont pas assez d’occasions d’être sous les feux de la rampe. En d’autres termes, nous devons leur donner nettement plus d’occasions de monter sur une scène et d’inspirer d’autres personnes.” 

Julie Scherpenseel: “J’observe beaucoup les modèles féminins. Ce ne sont pas nécessairement des femmes de premier plan comme Françoise Chombar: les enseignantes, les mères peuvent servir de modèles. Ma professeure de maths était une femme forte et intelligente. Je passais deux heures par jour dans sa classe, elle a contribué à façonner ma carrière et ma façon de concevoir certaines choses dans la vie.” 

Tony Janssens: “Au sein de la société et des entreprises, nous devons donner aux femmes l’envie et l’enthousiasme d’assumer ce rôle, en leur garantissant l’espace nécessaire pour le faire. Mais cela doit rester un choix.” 

L’informatique est un domaine extrêmement vaste: il y a tellement de fonctions, de rôles et d’emplois dans lesquels on peut commencer, évoluer et se perfectionner
Stefanie De Smet, Senior manager et responsable de la division Managed Services chez delaware

Julie Scherpenseel, vous avez été élue Young ICT Lady of the Year en 2020. Que signifie cette reconnaissance pour votre carrière? Êtes-vous devenue un modèle?

Julie Scherpenseel: “Grâce à ce titre, j’ai gagné en crédibilité auprès des personnes extérieures au secteur. Et cette plateforme m’a offert d’avoir plus d’impact. En partageant mon histoire dans les médias, en prenant la parole lors d’événements et devant des étudiants, j’ai pu toucher de nombreuses personnes. Par exemple, après une interview dans Flair, j’ai reçu une quantité incroyable de messages de filles m’écrivant que je les avais inspirées et qu’elles envisageaient d’opter pour un diplôme en informatique.”


Tony Janssens: “Quand un prix tel que celui-là peut être largement diffusé par les bons canaux, c’est certainement un excellent moyen d’attirer l’attention des femmes sur le monde de l’informatique et de contribuer à augmenter la proportion de femmes dans le secteur.”


Les femmes dans l’informatique souffrent parfois de préjugés. Quelle est la meilleure façon de tordre le cou à ces derniers?

Andy Stynen: “En effet, je constate que les femmes occupant des postes techniques sont parfois victimes de préjugés, ce qui est extrêmement regrettable et parfaitement infondé. J’essaie toujours d’encourager les femmes qui m’entourent à ne pas se soucier de ces jugements et à choisir le travail qui les rend heureuses. Et puis, je crois que tout le monde, en entreprise, est confronté à des préjugés à un moment ou à un autre. Je suis devenu CEO d’une grande entreprise à l’âge de 34 ans. La plupart des personnes qui m’entouraient étaient beaucoup plus âgées. Certaines pensaient que je ne méritais pas ce poste… Les premiers mois et les premières années, il faut doublement faire ses preuves.”


Julie Scherpenseel: “Bien sûr, j’ai eu l’impression de devoir faire davantage mes preuves que mes collègues masculins à certains moments. Mais j’en ai tiré des enseignements et cela m’a rendue plus forte. Des études montrent que les femmes aux États-Unis doivent très fortement faire leurs preuves dans le domaine ICT. En Europe et en Belgique, ce problème est moins répandu. Vous en souffrez régulièrement en tant que femme? Dans ce cas, changez d’entreprise, car il existe des myriades de structures où vous ne subirez pas ce jugement.”


Votre organisation adopte-t-elle des mesures spécifiques pour attirer les talents féminins dans le domaine ICT ou pour permettre aux femmes d’occuper des postes à responsabilité?

Stefanie De Smet: “Dans notre entreprise, 30% des employés sont des femmes, même si, dans les spécialisations techniques, cette proportion est considérablement plus faible. Nous pensons que la diversité sert l’entreprise. C’est l’objectif que nous visons. Bien sûr, cela dépasse le simple fait d’être un homme ou une femme. De nombreuses opinions et perspectives différentes sont nécessaires pour qu’une entreprise se développe et prenne les bonnes décisions. En réaffirmant cette évidence, une proportion plus grande de femmes franchira le pas vers le management.” 


Tony Janssens: “Chez nous, un employé sur sept est une femme. Au sein de mon équipe, je suis pratiquement le seul homme. Nous choisissons toujours le meilleur candidat au bon endroit. Personne ne bénéficie d’un avantage parce qu’il est un homme ou une femme: le poste est attribué à la personne dont les compétences et le culture fi t sont les plus appropriés.”


Andy Stynen: “Quelque 40% de nos 1.300 employés sont des femmes. Dans les profils techniques, nous arrivons à environ 15%. Nous n’avons pas de programme spécifique pour attirer davantage de femmes. Je pense que cela dépend pour beaucoup de la direction: un management diversifié est toujours meilleur. Il a même été scientifiquement prouvé que les entreprises réalisent davantage de bénéfices si des femmes siègent au conseil d’administration.”


Julie Scherpenseel: “Notre scale-up de 100 personnes se compose à 20% de femmes. Mais notre direction est à 50% féminine. Cela est dû en grande partie à notre politique du personnel. Nous offrons à chaque employé un parcours de carrière personnalisé, dans un environnement de travail très flexible et une culture inclusive. Cela garantit que tout le monde, femmes comprises, reste longtemps et soit incité à occuper des rôles dirigeants.”


Les quotas permettent-ils de faire accéder davantage de femmes à des postes de direction?

Tony Janssens: “La diversité devrait concerner tous les aspects de la vie: opinions, origines, nationalités, religions, orientations sexuelles, genres, etc. Mais cette démarche doit être également poursuivie en dehors de notre secteur. Pourquoi, par exemple, parle-t-on rarement du fait qu’il n’y a pratiquement pas d’hommes sages-femmes ou infirmiers? Je ne crois pas aux quotas. Ils ne devraient pas être nécessaires.


Julie Scherpenseel: “Je vois les choses de manière moins tranchée. Oui, la bonne personne doit être au bon endroit, et les compétences et la passion sont les éléments les plus importants. Mais les quotas peuvent aider à conscientiser. Ce qui ne veut pas dire que les femmes devraient décrocher un emploi particulier au motif qu’elles sont des femmes.”


Quel conseil aimeriez-vous donner aux femmes qui envisagent une carrière dans le secteur IT?

Stefanie De Smet: “L’informatique est un domaine extrêmement vaste: il y a tellement de fonctions, de rôles et d’emplois dans lesquels on peut commencer, se développer et évoluer. Vous n’avez rien à perdre à vous lancer.”


Andy Stynen: “En effet, il faut vous jeter à l’eau. Essayez! Vous n’avez rien à craindre. Vous pouvez vous orienter dans n’importe quelle direction, les emplois et les employeurs ne manquent pas.”


Tony Janssens: “Il faut un déclic. Ne forcez rien, recherchez l’adéquation culturelle avec un employeur. Le reste de votre parcours professionnel suivra automatiquement.”


Julie Scherpenseel: “Lancez-vous: travailler dans le monde de l’informatique est passionnant, stimulant et porteur d’impact social.”

L’enseignement secondaire crée une perception erronée de la technologie
Tony Janssens, Strategic Recruitment Manager chez Egov Select

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